Chapitre 4 : Les zèbres verts [Livre 1]

A.C.C.O.R.D.

Je le sentais vibrer le long de ma colonne. Il s’échauffait, tremblait, claquait, prêt à bondir et à frapper. L’air pressurisé et frais commençait à arriver, son odeur pouvait vous vriller la tête au début, maintenant, je ne pouvais plus m’en passer. Je fermai les yeux quelques seconde….souffle….souffle…inspire….souffle. Quelques secondes plus tard je n’étais plus le même…un tueur, un assassin sans morale ni vertus….un Black Bird, griffes en avant, qui saisit sa proie et la tue dans un silence glacial.

Je donnai mon A.C.C.O.R.D.

Attaché ? Ok. Commandes ? Libres et dans le bon sens. Carburant ? Ok. Oxygène ? Normal. Réseaux et systèmes ? Tout est au vert, l’IA est parée. Décollage ? Autorisé. L’oiseau pouvait décoller. Au début de ma formation avec le Borgne, je détestais ce rite, cette check list qui me semblait tout aussi ridicule qu’être une perte de temps. Bien plus tard j’avais compris pourquoi le Borgne ne me lâchait jamais avec ce truc. A me faire répéter 100 fois ce que l’ordinateur de bord avait vérifié en quelques millièmes de secondes. La vie du pilote est simple : il y a le vol et le reste. Cet “accord”, c’était simplement les quelques minutes qui me permettaient de devenir ma machine, d’incarner ses armes et de frapper avec une impitoyable violence les cibles désignées. N’importe qui, sans cela, deviendrait fou. A moins que notre sort en fut déjà jeté.

Je regardai le PAD s’éloigner. Les G me tassaient sur mon siège, comme si leur rôle consistait à me faire fusionner avec mon vaisseau. La sensation de changement de gravité était pénible, je ne m’y étais jamais habitué. Les Technodon regardaient d’un sale oeil le vaisseau les quitter. De purs génies et de grands cinglés ces techno, à se demander s’ils sont encore humains….à se demander si nous étions tous…encore humains !

Je sorti de la boite aux lettres à vive allure, mes ailiers dans mes six heures. La planète blafarde se trouvait juste en façe. Disque blanc parfait, sans relief, sans ombre ni reflets. Elle brillait inlassablement, comme un phare pour le navire en détresse. Même elle, avait l’air triste. Je virai le long de la station Coriolis et jetai un oeil à son nom. Un nom évocateur….ancienne histoire de la vieille Terre…un colosse à la force exceptionnelle qui la perdit à cause de l’Amour…Sur ses genoux il s’était endormi….pour elle il était tombé ! Son nom était pour nous un avertissement, une mise en garde à chaque départ en mission et à chaque retour triomphant. Tout Achille que tu es, petit piaf, tu as un talon !

“Frameshift Drive Charging…..”

Premier contact

Arrivée à Aha Narfi, Lem Station…..Nous étions complètement paumé au milieu de nulle part !

Appel en urgence du Consilium pour une station prise en orage. Prendre une station en otage….du délire, mais qui s’intéresse à Aha Narfi ? Probablement un cinglé avec son anaconda qui voulait tester la résistance de son bouclier en tirant sur les sidi des jeunes pilotes se lançant dans la grande aventure. Rien que d’imaginer un combat à l’intérieur de la station me donnait la nausée. Ce genre de mission finit toujours dans un bain de sang généralisé….les stations et leurs cuves de carburants aiment pas trop les lasers. Les habitants, n’aiment pas trop le feu et les explosions. Rassembler les restes prend des mois….On raconte que les équipes de nettoyage retrouvent des morceaux d’os et de corps plusieurs mois après la réouverture de la station. A vous dégoutter à vie d’être personnel d’entretien !

En arrivant à la station, je compris que je venais de faire ma deuxième erreur…il n’y avait pas d’anaconda….La première erreur était d’être parti avec une seule Wing.

Après coup on réfléchit, on analyse, on scrute les détails…mais dans l’action on ne voit presque rien. On laisse ses bras et ses jambes faire leur boulot. Les armes chauffent, les ordres fusent, les yeux se plissent quand les coques explosent. Mais surtout on évite de penser. Parce que penser à ce qu’on voit ou ce qu’on fait c’est plus dangereux que de mettre une arme sur sa tempe et d’appuyer sur la détente.

Les deux premiers Rapture à tomber n’ont même pas dû comprendre ce qui se passait. Le troisième vola en éclat dans la seconde où je lui intimais l’ordre de la retraite. Des dizaines de vaisseaux bariolés de verts se tenaient devant moi, je fermai les yeux, je me souviens avoir souri. Depuis combien de temps je n’avais pas souri ? ….souffle….souffle…inspire….souffle….mon enfer est-il terminé ?

-“…..leur dire……”

Vivant….j’étais vivant….le silence…plus de lasers, plus d’explosions. Ton esprit…sur la bataille…il n’y a qu’elle…la bataille.

-“Toi, connard, tu me reçois “?

Il me parlait ? A qui d’autre ? autour de moi il ne restait que du métal broyé..

-“Hey….trou’duc….t’es sourd ou t’es mort “?

Ton esprit…..sur la bataille, il n’y a qu’elle…la bataille !

-“Rapture I, des black Birds, identifiez-vous !”.

-“Ben zen avez mis du temps, bande de bouseux…. on a tout cramé en vous attendant…tu nous en veux pas, dis ?”.

Bordel, c’est qui ces malades ?

-“Rapture I, des black Birds, identifiez-vous !”.

-“Chier ! on a laissé le plus con en vie….j’t’avais dit de leur parler avant de tirer….merde on fait quoi maintenant avec le demeuré de service ?”

-“Rapture I, des black Birds, identifiez-vous ou j’ouvre le feu!”.

Rires…..des démons. Des démons bariolés de vert !

-“Ecoute tocard de merde ! Ce que tu as en face de toi c’est ton avenir. Toi et ta bande de rigolos avec vos coutumes à la con et vos insignes de merde vous allez crever les uns après les autres. Mais avant, on va foutre un tel bordel partout que vous allez nous supplier de vous achever”.

Mieux vaut, parfois, ne pas penser à ce qu’on dit….

-“Si tu veux tirer, tu tires, je m’en cognes. Une chose est sûre je comprend ni qui tu es, ni ce que tu veux. J’aime pas ta manière de parler”. Je commençai à appuyer sur la détente.

NOIR. La voix de l’IA au milieu des ténèbres.

Système de survie enclenché, 15 minutes d’oxygène disponible.

Tous systèmes HS.

Energie 0.1%

Réinitialisation des modules, Echec.

Vérification des systèmes…Echec.

Bordel ! J’entendais le grésillement de la radio. Cette voix grave et douce à mon oreille.

“-Tu sais petit merdeux, je vais te laisser vivre. Tu vas retourner voir tes copains et leur dire que nous allons prendre la relève. Tu vas leur dire que t’as vu le Démon, tu vas leur dire que t’as vu le feu sacré qui va brûler les systèmes les uns après les autres…tu vas leur dire que tu viens de découvrir le futur…

et le futur s’appelle les Zèbres Verts”!

Je hais le vert !

Nous sommes les Black Birds, nous sommes la Frontière.