J’avais prévu de partir suffisamment à l’avance afin de ne pas avoir à me presser pour arriver à la salle des fêtes des Cadets. Sage décision. Le chemin était long et tortueux pour atteindre cet antre volontairement mis à l’écart de tout point sensible par Rapture I. J’avançais nonchalamment dans le dédale de couloir, ne sachant pas vraiment ce qui allait m’y attendre.
Elle n’avait pas toujours été aussi loin cette salle, mais divers… incidents avaient entraîné des déménagements successifs.
C’était donc le grand soir pour plusieurs Raptures et moi, nos états de services nous permettaient enfin de décrocher notre première distinction au sein des Black Birds. Nous étions officiellement devenus Cadets, et à cette occasion était organisé ce qui pourrait être comparé, sur le principe, à un bal de promo, mais sur le principe uniquement. Chez les Black Birds, les choses ne sont jamais tout à fait comme partout ailleurs…
Cette “salle des fêtes” avait tout simplement été baptisée “le C.A.D.E.T.”, acronyme pour le “Coin Apéro Détente Et Toast”, plus ou moins adapté à la vocation du local. Rapture I avait autorisé cet espace et ce temps de détente pour développer l’esprit de fraternité au sein du groupe, et puis aussi tout simplement pour décompresser. On se retrouvait donc souvent au C.A.D.E.T. en rentrant de mission, on y buvait un coup, on se relaxait. La plupart du temps, tout se passait bien. Il faut dire que les critères de tolérance étaient largement au-dessus de la norme. Si une disparition suspecte ou un décès avait systématiquement l’effet de faire entrer Rapture I dans une colère noire (ce qui était synonyme d’une rude journée à venir), on considérait qu’une soirée des Cadets s’était bien déroulée en dessous d’un certain pourcentage de dégâts matériels, de fractures ouvertes, brûlures, et autres traumatismes. Le fondateur avait bien tenté de discipliner les recrues, mais avec le temps, il s’était résigné à l’idée que la soirée en elle-même soit partie intégrante de la sélection des Black Birds.
Tout en approchant de ma destination (je commençais à entendre les voix des premiers arrivés), je me remémorais les récits d’un de nos vétérans sur les fameux incidents qui avaient mené “le C.A.D.E.T.” à être déplacé.
Le premier déménagement était intervenu après un accident impliquant entre autre, de l’alcool, un concours de plongée et la piscine alors en maintenance. Bon sang, ce qu’ils devaient être bourrés pour ne pas se souvenir que la piscine était vide ! L’affaire avait pourtant fait beaucoup de bruit à l’époque. On avait dû vider le bassin suite à un autre incident, impliquant lui aussi un peu trop d’alcool et l’esprit analytique de notre Technodon, et néanmoins ami, Rapture XXII, qui s’était mis en tête de tester l’efficacité en milieu aquatique d’un Plasma Classe 4. Si les résultats du test avaient largement dépassé les espérances de Rapture XXII, ce qu’il avait notifié dans son rapport par les termes “ce truc a vraiment trop la patate !”, la piscine quant à elle, était partiellement détruite. Notre ami plongeur de compétition avait eu beaucoup de chance de s’en tirer vivant, mais la gravité de ses blessures avait poussé Rapture I à éloigner le local de la piscine. S’ils étaient assez cons pour plonger dans une piscine sans eau, combien allaient se noyer quand elle serait remplie ?
Vu le comportement des jeunes oiseaux, le Fondateur cru bon de faire installer la salle à proximité du service médical. Ce qui amena malheureusement à un nouveau débordement, impliquant toujours autant d’alcool, une infirmière peu farouche, un concours de dessin et du matériel de suture. Le concours avait pour but de se faire littéralement coudre l’emblème des Black Birds sur le dos. Un Cadet débordant de testostérone et voulant sans doute impressionner la jeune infirmière, déclara que s’il avait survécu à l’épreuve de l’île, il n’allait pas se dégonfler devant un peu de suture. Las, le non-respect des conditions d’hygiène et d’asepsie provoqua quelques jours plus tard une sévère crise de septicémie, qui cloua le caïd au lit durant plusieurs semaines.
Cet incident, cumulé à un nombre anormalement grandissant de demande de congés pour maternité au sein du personnel médical, mena à un nouveau déménagement pour le C.A.D.E.T., qui fut basé cette fois dans un coin reculé de la station, loin de la piscine et de l’infirmerie, où rien de grave ne semblait pouvoir arriver jusqu’à ce jour où, lors d’un concours de gravure de notre emblème sur une des parois du local impliquant beaucoup d’alcool et un laser minier de Classe 1, l’ardeur des artistes créa une brèche, entraînant une dépressurisation qui manqua de coûter la vie à tous les oiseaux présents si les systèmes de sécurité n’avaient pas été aussi efficaces.
Excédé mais pas découragé, Rapture I affecta aux Cadets un nouveau hall, presque en plein cœur de la station, loin de tout dispositif sensible et de toute habitation, où il se trouve encore aujourd’hui. Le dernier accident, heureusement cette fois-ci sans gravité et n’entraînant, de fait, pas de déménagement, eu lieu il y a plusieurs années lors d’une soirée baptisée “Mouton-Cadet”. Le thème de cette soirée impliquait, en plus de l’alcool évidemment, un concours de saute-mouton et un F-63 Condor HS car dépourvu d’un de ses propulseurs latéraux. Le talent de Rapture XXII lui avait permis de mettre au point une sorte de jet-pack, composé du haut d’une combinaison de combat sur lequel il avait greffé… Un propulseur de F-63 Condor… Le but était ainsi de sauter par-dessus le vaisseau avec l’aide du jet-pack. L’incident intervint quand, suite à un disfonctionnement, il s’avéra impossible de couper le propulseur. Le pauvre Rapture s’envola dans une embardée diabolique, heurtant les 4 coins de la pièce et tout ce qui s’y trouvait, jusqu’à ce que l’alimentation du booster finisse par lâcher.
Heureusement, la combinaison le protégea partiellement, et le coma artificiel dans lequel les médecins le plongèrent pour survivre à ses multiples brûlures et fractures semblait lui être bénéfique. Le personnel médical était confiant quant à la récupération de la mobilité de ses membres supérieurs, même s’ils étaient convaincus qu’il ne marcherait plus jamais. Devant sa résistance physique et sa ténacité à rester en vie, Rapture I décida, malgré son infirmité, qu’il resterait membre des Black Birds. Il ne pourrait plus voler bien sûr, mais après tout, notre groupe avait aussi cruellement besoin d’agents administratifs compétents. Vu la gravité de ses blessures, le Fondateur fût soulagé par l’idée que le C.A.D.E.T. ne puisse accueillir de plus gros vaisseau que le Condor. Quels auraient pu être les dégâts avec un propulseur de Python ? L’idée semblait saugrenue mais la virtuosité de Rapture XXII pour le bricolage ne laissait aucune place à l’impossible.
J’arrivais finalement à destination, rassuré de savoir qu’aucun concours n’était prévu ce soir. A la place, c’était un témoignage de fraternité, de reconnaissance de l’appartenance au groupe qui était prévu.
L’ampleur des tâches qui incombaient à Mouton-Cadet (le surnom affectif que les Raptures donnèrent à notre agent administratif, hémiplégique depuis son tragique accident), l’obligeait à traverser régulièrement la station d’un bout à l’autre. Entre les statuts des Black Birds, les plannings, la compta, les inventaires, les divers litiges et les relations clients, il était constamment en déplacement. Les Cadets se tournèrent ainsi vers Rapture XXII pour lui demander d’améliorer les performances de Roulette Mk.I (c’est ainsi que le fauteuil de Mouton-Cadet fût baptisé), pour lui faciliter la vie. Il eut donc l’ingénieuse idée de remplacer les moteurs poussifs de Roulette par les mécanismes d’entraînement de 2 Multi-cannons de classe 1. Vu la puissance démesurée du dispositif, il dût être agrémentée d’un mécanisme magnétique pour lui permettre de rester au sol. Aucun défi n’étant de taille pour lui, Rapture XXII s’affairait sur les derniers réglages de Roulette, sous le regard alcoolisé mais joyeux de Mouton-Cadet qui l’observait depuis le fauteuil du F-63, toujours là, et dont le Technodon avait pris soins de désactiver le mécanisme du siège éjectable, dans un souci toujours aussi professionnel de sécurité et connaissant le penchant de Mouton-Cadet pour l’alcool depuis son accident. Le Technodon semblait satisfait de son travail et, après avoir été largement remercié par ses frères, il se tourna vers Mouton-Cadet et lui lança: “ça risque d’être la merde au début dans les virages, mais ce truc a vraiment trop la patate !”.
La soirée se déroula par la suite sans encombre, les conversations étant pour la plupart animées autour de tel ou tel vaisseau, bataille, mission, ainsi que sur l’anatomie d’Aisling Duval, sujet assez récurrent au sein du C.A.D.E.T. Un léger incident impliquant de l’alcool, l’esprit analytique de notre Technodon, un concours de vitesse avec Roulette Mk.I et un virage mal négocié faillit mettre fin à la soirée, mais Mouton-Cadet s’en sorti avec seulement quelques contusions.
Nous sommes des frères, nous sommes Cadets, nous sommes les Black-Birds.