Le borgne
S’il y bien un endroit sur la station qui est le cœur de notre fraternité, c’est le bar des pilotes. Au début réservé exclusivement à ces derniers, il était devenu peu à peu l’agora de toute la station. Le bar portait le nom de Perséphone en raison de la liqueur infernale distillée sur place….tout un programme.
Je me contentai d’une bière, seul, accoudé au zinc.
-Rude mission chef ?
-Mission d’escorte, chiante à mourir, répondis-je.
L’homme en face de moi tenait le bar. Il arborait une touffe de cheveux blanc monumentale, tout autant que sa barbe. L’un de nous aurait cru au Père Noël qu’il lui ait demandé un autographe…à ce détail près que notre père noël portait un bandeau sur l’œil droit. Il était borgne, suite à l’explosion de sa verrière en combat. Son casque de survie s’était déclenché une fraction de seconde trop tard, suffisamment pour lui arracher l’orbite…dur métier. Le Borgne fut un pilote d’exception, il fût mon instructeur et mon mentor. Il avait cessé de voler en formation à la suite de son accident, et avait choisi de tenir un bar plutôt que le siège d’un bureau miteux dans le département administratif de la station, ou pire avec le consilium. C’était un homme intelligent qui avait compris que le centre de la station n’étaient pas les salles de conférences ni les bureaux, mais bien ce bar. Tout le monde se confiait au Borgne, tout le monde lui parlait : les technodons, le personnel d’entretien jusqu’aux grosses huiles. Le borgne était devenu notre mémoire, notre défouloir, mais il était surtout devenu un homme beaucoup plus important que quiconque ici, puisqu’il savait tout, sur chacun d’entre-nous. Éminence grise qui savait écouter et glisser les mots utiles quand c’était nécessaire.
“Qui est le plus dangereux, l’homme qui parle et semble diriger ou celui qui susurre à son oreille ?”.
-Je connais ça, chef. Missions perverses, on se relâche, rien qu’une fois, et crac, c’est l’hécatombe, Me répondit le borgne
-Pas la peine de le me rappeler, Borgne. J’étais d’humeur maussade.
-Et elle rapportent, un max, surenchérit-il.
-Ouaip, le fric….Faut dire que cette station nous coûte un bras, le fait qu’on la dissimule et qu’on efface toute trace en permanence, n’arrange rien !
-Le mythe, souviens toi de ce que je t’ai toujours dit, le mythe est plus fort que ton laser. Les Black font peur plus qu’ils ne font mal, c’est le prix à payer !
Je regardais ce regard bleu et froid. Même avec un seul œil cet homme savait imposer sa loi, forçait le respect et impressionnait par sa simple présence, ne fut-ce derrière un bar. Je me souvenais bien de notre première rencontre.
PAD 29
Il avait les cheveux plus noirs que le vide spatial et déambulait lentement entre les rangs des jeunes recrues alignées en rangs depuis plus de 4 heures sans bouger. Il avait laissé durer le plaisir, s’était fait attendre et avait fait son entrée dès qu’un camarade avait commencé à flancher. “GARDE A VOUS”, sa voix résonnait sur le PAD et la station lui rendit l’écho. Nous avions découvert cette masse imposante nous toiser et nous juger. Les classes étaient finies, nous avions connu l’enfer….du moins l’avions nous cru. L’enfer n’est pas chaud, l’enfer n’était pas cette planète torride où nous avions passé 2 ans et perdu 2/3 de nos camarades…non, l’enfer est vide et glacial, parsemé de milliards d’étoiles et de galaxies.
-Savez-vous pourquoi vous êtes là, bleusaille ?
Dan, à ma droite hésita, comme a son habitude, il ne pu se taire :
-Pour servir et…
-Ta gueule ! Le couperet était tombé, la litanie commença : Nous sommes la pire chose qui puisse exister dans tout l’univers. Que dieu m’en garde, personne ne devrait être comme nous…mais nous sommes nécessaires à l’équilibre. Ce que vous étiez ne compte pas. Ce que vous deviendrez, si vous réussissez mon entrainement, sera terrifiant. Vous ferez peur, votre nom fera trembler la plus coriace des wings de pirates. Vous serez plus noirs que la peste, plus coupants que le scalpel, plus impitoyables que le scorpion. Vous serez la frontière entre le chaos et un semblant d’humanité. Vous tuerez, femmes et enfants si on vous le demande.
Qu’ils soient présidents de la Fédération, Sénateurs, ober-marchands. Tous ont besoin de nous pour se salir les mains à leur place. Tous ont besoin de notre fraternité pour qu’il puissent continuer à exister. Leur guerre n’est pas la nôtre. Leur vie n’est pas la nôtre. Mais sans nous, tout s’effondre. Nous sommes les Black Birds pilotes ! Nous sommes la frontière entre la vie et la mort. Et nous attendons une seule chose, nous sommes formé dans un seul but : attendre ces saloperies d’Alien quand ils décideront de revenir foutre le bordel dans ce charmant équilibre.
Pas de passé, pas de tombe, pas de gloire. Personne ne sait où nous habitons, personne ne viendra vous sauver. Votre seul tombeau sera l’espace et l’oubli.”
Il reparti, nous laissant là, méditer ses paroles pendant encore de longues heures.
Nous sommes les Black Birds, nous sommes la Frontière.