Préambule : Vox Veritas
Le Dictateur agitait nerveusement le cube de glace noyé dans son bol de whisky Nyxien pur malt. Assis derrière son somptueux bureau en bois mauve d’acajou de More, il ne cessait de faire pivoter d’un côté à l’autre son fauteuil en cuir de métabaleine.
– Alors il est de retour ?
Face à lui se tenait le Directeur de l’Agence Consulaire des Renseignements. L’interface entre le gouvernement et la Division de l’oeil. Droit comme un “i”, dans un costume de soie veneganienne finement brodé, le Directeur gardait un regard fixe, semblant se forcer à ne pas laisser transparaître le moindre rictus.
– Votre Excellence, nous ne sommes pas sans savoir que vous projetez de punir létalement ce pilote. La Division de l’oeil a rassemblé tous les faisceaux d’indices, toutes les preuves accablantes prouvant que le Commandant Giblood…
– MEOW !
– Que le Commandant Giblood…
– MEEOOORW PSCHHiiiiiiiii !!!!!
– Que Rapture XLV a bien été le commanditaire du cambriolage de l’aire sécurisée de stockage de spiritueux mis à votre disposition par l’Ordre Noir. Nonobstant ces faits….
– Nous sommes bien d’accord ! C’est bien ce maudit Giblood…
– MEOOGRRRRR !!!
– Arrête le chat ! Désolé mais il ne supporte même pas son nom. Je disais donc, nous sommes bien d’accord qu’il a commis un crime à l’encontre de son souverain incontesté ? La prescription 4 de l’Édit de l’Ordre Noir est claire. Je cite : “Tout sujet déclaré coupable d’un crime de lèse-Majesté ou de blasphème grave à l’encontre de son bienveillant Dictateur, se verra puni par la désintégration moléculaire de son enveloppe corporelle, du fait de son exposition à une source de pulsion plasmatique de haute intensité. ” Bref, nous devons AP-PLI-QUER LA LOI !
– Nous ne pouvons le permettre, Sire. N’oublions pas que c’est sur notre ordre que le commandant… que Rapture XLV a parcouru plus de soixante mille années lumières, afin de procéder à des missions de renseignements, que ce soit à Colonia et sa région, comme dans certains points stratégiques de la galaxie, ainsi que du support à Edge Fraternity, faction dont nous gérons certains intérêts. Nous avons besoin des données qu’il transporte !
– Nous avons besoin de l’éparpiller dans le cosmos, et récupérer mon bien. Du moins s’il en reste !
– Il nous faut ces données, c’est capital !
– Que nenni ! IL DOIT TRÉPASSER DE MES MAINS !
– NON !
– SI !
– …
Loin de se cantonner au seul bureau du Leader Suprême, la querelle se répandit partout. En commençant par l’état-major, puis l’ensemble des administrations consulaires, les escadrilles de pilotes, les sections de la phalange noire, la plèbe dans son ensemble et bien sûr près du comptoir en zinc du bar du Perséphone.
Tout ce petit monde qui constituait l’empire Black Birds, se vit scindé en deux : Ceux qui soutenaient leur Suzerain Céleste et son fielleux félin pour sa décision d’occire le vil spoliateur qui avait fait main basse sur trente tonnes d’UAlcool raffinés avec amour, et ceux qui portaient haut le courageux Commandant, que ce fut pour les précieuses données indispensables au dessein de la faction, ou pour l’audace d’avoir profité de la richesse de l’oligarchie en place. Voire simplement parce qu’il était un pote de comptoir ou n’aimaient pas les matous miteux…
La zizanie était prévisible lors de son retour proche, à Munfayl. Alors que Son Éminence Intersidérale et son perfide chat levaient une escadrille-de-la-mort-en-mode-fin-du-monde-grade-5 dans le but d’accomplir une vengeance aveugle, une poignée de résistants se préparaient à composer une escorte pour défendre celui qui avait eu la malice de prétendre à un acompte sur salaire, alors qu’il allait vivre une véritable odyssée débordante de dangers, dans le simple but de rendre la vie meilleure au sein du “nid” Black Birds.
– VOTRE ALTESSE ! VOTRE ALTESSE !
– Qu’y a t-il estafette ?
– IL EST LA !
Le Dictateur se leva soudainement à l’annonce qui lui était faite. L’heure de la vengeance avait sonné. Cela faisait des semaines, des mois qu’il rongeait ses freins, soignait son hypertension, rêvait d’explosions et de tirs de laser. Son affreux chat, la fourrure hirsute, sauta sur son bureau. On pouvait sentir la haine transpirer de ce qui lui servait de babines.
– MEEEOOOWGRRRRrrrrr !!!!
– Où est-il ?
– Nous avons réussi à décrypter une communication. Il s’apprête à faire un dernier saut hyperdrive, et se docker pour débriefing avec l’A.C.R. Il parlait même de fêter ça. Que c’était la tournée du Prince !
– Il a donc encore la cargaison avec lui. C’est inespéré.
– Sire, nos radars quantiques ont décelé la présence de vaisseaux de combat. Ils ont organisé une escorte. Le Commandant Jimoo semble être leur leader. Ils sont en train de se rassembler dans un anneau d’astéroïdes. Les coordonnées vous ont été communiqué sur votre holopad.
– Le renégat ! Mettez l’escadrille “Fin du monde” en alerte. Je les rejoins immédiatement ! Le chat, mets ton scaphandre de combat. Ça va chauffer dur ce soir….
Le Commandant Giblood regardait tranquillement les astéroïdes de la ceinture de LHS 538 3 tournoyer près de “La cuvée du Prince”. Son anaconda d’exploration.
Il sursauta à l’appel de son IA.
– Commandant, ils arrivent.
– Bien Cerveza. Ouvre un canal vocal avec le leader.
– Krrrrr ….. Giblood, sac à vin, on arrive te sauver les miches…. Krrrrr….
– Mon vieux camarade ! Comment tu vas mon bon Jimoo. T’es pas venu seul ?
– Naaan ça n’a pas été difficile, dès que j’ai annoncé que tu payerais ta tournée, y’a tout le Perséphone qui m’a suivi comme des lemmings.
– Tu m’étonnes. Yop Falco, salut Zaro, t’es plus au trou ? Ça va Nak1boul ? Y’a des nouveaux aussi ? Merci les z’amis, Dainslef, Kikored et Katosh. Bon ben on va se mettre en formation pour…..
– Commandant ! Transmission prioritaire. J’ouvre le canal. Ça ne va pas vous plaire…
– Tzzzzz…. Alors voleur de poules, tu pensais t’en sortir comme ça ?
– Heuuuu…. Majesté… Phopho… (gloups) …neix ?
– Écoute bien le son de ma voix car c’est surement le dernier bruit que tu vas entendre à part mes plasmas !
– MEEEOOOOOGRRRRR !
– Oui le chat, je vais te rendre ton jouet préféré.
– Bon les gars, je crois que vous n’êtes pas venu pour rien. Passez en formation tactique. Y’a le gratin de l’Ordre Noir qui nous fonce droit dessus. Ils vont sûrement essayer de récupérer les quelques hectolitres que j’ai emprunté à long terme à notre cher Dictateur vénéré.
– Je dirais véner plutôt.
– Pas le temps de plaisanter les ailiers.
– Commandant, je perçois la signature thermique d’une dizaine de vaisseaux de combat. Et pas les plus handicapés du manche. Les Commandants Oggy, Dadoodl, Redfox sont de la partie. Le Consul de Venegana est présent, le Prince-technodon Boby ainsi que d’autres. J’ai identifié des vaisseaux d’autres factions. Remlock Industries et la 51th Massilia. Les Commandants Xenophis et FireFox ont été recruté par le Dictateur.
– La vache, on est mal. Cerveza, prépare les capsules de survie. Envoi les droïdes remplir les capsules à ras-bord de bouteilles d’UAlcool. Programme les pour un itinéraire vers ma.planque secrète, là où tu sais. Sauf une nacelle que je me réserve au cas ça se passe mal. Heuuu… Fais y mettre quelques bouteilles quand même. Faut pas déconner, je vais pas partir à jeun… Et préviens le Directeur de l’agence Consulaire de renseignement que je vais être à la bourre pour notre rendez-vous.
– Reçu Commandant. Les escadrilles hostiles ne sont plus qu’à 10 km.
– Sortez vos points d’emport, buvez une bonne rasade de tord-boyau, et bonne chance pilotes. Couvrez mes arrières et je vous promet une cuite dont vous vous rappellerez…. Plus !
Les deux groupes opposés se rejoignirent dans l’anneau d’astéroïdes, pour une partie de dog-fight dantesque. LHS 538 3 était illuminé par les tirs de laser, de plasma et les traînées colorées des propulseurs survitaminés.
– Giiiiiblooooood ! Je vais te buteeeeeeer !
– Cours moi après mon chaton, si tu crois que je vais me laisser faire ! Tout ça pour quelques litres de gnôle…
– Trente tonnes d’UAlcool millesimé de qualité premium estampillé pour l’Ordre Noir ! Ta vie ne vaut même pas un gobelet de ce prestigieux distillat !
Le ballet du combat à mort était aussi véloce et virevoltant que la bataille entre deux essaims de frelons testostéronnés.
Il suffisait d’attendre deux ou trois minutes pour voir exploser, un coup un Fer-de-lance, un coup un Mamba ou un coup un Krait MKII.
Le bruit sourd des projectiles cinétiques résonnaient fort dans le cockpit de l’anaconda. Le bouclier énergétique prenait l’aspect d’une guirlande de Noël tellement les impacts étaient denses.
– Le bouclier ne va pas tenir longtemps Commandant. Je transfère le maximum d’énergie dans le condensateur. Je détecte l’approche de drones perce-soute.
– Rhaaaaaaaa ! M’énerve à la fin ! Allez ! Booooost ! FA-OOOOOFF ! C’est pas vraiiiiii !
– L’écoutille de soute a été piraté. Nous perdons la cargaison Commandant….
– NOOOOOOON ! C’est pas possible ! C’est MA gnôle à MOI !
– Anaconda de Leader, on se prend une sacrée branlée. Deux vaisseaux détruits, deux autres hors-service, nous sommes débordés. On a descendu deux ou trois pilotes adverses, mais ça craint, c’est chaud-patate !
– Ça je m’en rend-compte poto ! Ne restez pas là, c’est fichu. Rentrez les points d’emport et sauvez vous, pendant que j’encaisse encore. On se retrouvera à Munfayl, devant la cours martiale ou dans le trou… Et merci encore les z’amis.
– Bonne chance ma sacoche préférée ! A la revoyure !
– Commandant, je détecte les lancements de procédures FSD. Vos amis s’enfuient. Par contre vous prenez un focus monstrueux…
Malgré les multiples manœuvres d’évitement, les munitions à fragmentation, projectiles cinétiques de calibres divers, boules de plasma et autres laser vinrent à bout rapidement du bouclier de “La cuvée du Prince”, qui était optimisé pour l’exploration profonde, pas pour un combat acharné contre les meilleures fines gâchettes de la bulle.
Sans bouclier, le vaisseau de 150 mètres de long commença à se désintégrer bout par bout. Les propulseurs principaux exhalèrent leur dernier souffle en premier. Les armes et modules secondaires ensuite. Les volumes intérieurs de l’anaconda se remplirent de fumée et de particules incandescentes.
– Commandant, le vaisseau ne répond plus. Il est perdu. Échecs des tentatives de réparation et de redémarrage. L’escadrille ennemie a cesser les tirs. Ils se regroupent, probablement pour lancer un assaut final.
– Profites-en pour lancer les nacelles chargées de cargaison. Je cours me mettre dans la vide !
– Krrrrr….. Et voilà le moment que j’attendais tant : L’estocade !
– Cerveza ! Je suis en place ! Largage de la capsule ! LARGUE LA NACEEEEEEELLE BORDEEEEEEEEL !
Au moment où la nacelle de survie fût éjecté de la carcasse fumante et délabrée de l’anaconda, les vaisseaux convergèrent vers celui-ci, toutes leurs armes crachant leurs funestes venins destructeurs.
Dans une aveuglante explosion, ce qui fut un majestueux vaisseau d’exploration, se désintégra pour rejoindre l’infime poussière cosmique.
La brutale accélération de l’éjection passée, Giblood se jeta sur une des fameuses bouteilles d’UAlcool déposé par prévoyance.
– Gloup gloup gloup….. Brhooooooo ! Aaaah ça c’est bonnard. Elle est vraiment trop bonne cette piquette ! J’espère que les autres nacelles chargées vont arriver à bon port. Ahahah ! Ils sont pas prêt de les trouver celles là !
– Heuuuu…. C’est quoi ce bruit ? IA ? Rapport d’avaries ?
– Capsule intègre Commandant. Je détecte toutefois un objet amarré à la nacelle….
– Un objet ? Amarré ?
– Tzzzzzz… Tiens tiens tiens ! Ne serait-ce pas là un fugitif dans une boîte de conserve ?
– (De nombreux pilotes au rire gras) MOUAHAHAHAHAHAA !
– Meeeeowkrrrrrrrr !
– Ooooh ! Salut les gaaaaaars !… Bonjour Siiiiiire !
– Mon pilote préféré. Tu m’as déjà volé “Gaïa”, mon ASP Explorer adoré.
– Oooooh c’était un tout petit emprunt…
– Tu as pulvérisé mes quartiers en t’écrasant à l’intérieur avec ton fichu python.
– Rhooooo, à peine un peu de bazar ici et là, pis c’était pas vraiment ma faute….
– Et là, tu as eu l’outrecuidance de me dérober, je ne sais ni comment ni pourquoi, trente tonnes du meilleur UAlcool de la galaxie ? Et tu penses te carapater tranquillement ? Allons. Allons.
– Phoneix, votre Majesté, mon vieux copain de toujours. En fait je t’explique. Tu vas rire…..
– Ce n’est pas moi qui vais rire, hein le Chat ?
– Oui mais non….
– Commandant, quelque chose est en train de découper la coque de la capsule. Je détecte une forme organique munie de griffes laser….
– LE CHAT ?
A ce moment, une énorme partie circulaire de la cloison extérieure de la capsule se détacha. Le chat humanoïde, vêtu d’un scaphandre de combat, toutes dents et griffes dehors, se jeta sur le malheureux Commandant. L’exiguïté de la cabine ne lui laissant aucune marge de manœuvre, le chat pris instantanément le dessus, lacérant les chairs et l’amour propre de sa victime.
– Maintenant que le Chat a retrouvé son jouet, on va remorquer le cercueil jusqu’à Samson. Je déploie mon rayon tracteur. Arrivé à Munfayl, on le poussera jusqu’à Samson. Ca vous dit une partie de capsule-ball les gars ?
– MOUAHAHAHAHAHAHAA !!!
C’est ainsi que le Commandant Giblood fut ramené en la capitale du Squadron. Ballotté violemment par les chocs des vaisseaux jouant à le pousser pendant des heures jusqu’à la station. Pendant que le Chat l’écorchait vif dans la minuscule nacelle, prenant un malin plaisir à imprégner les plaies béantes à l’UAlcool à 340 degrés.
Quelques semaines plus tard, le dictateur était allongé sur un somptueux et confortable sofa. Comme à son habitude, il avait organisé une orgie dont il avait le secret. Entouré de de sa cour, les amis du premier cercle, ils se gavaient des mets les plus sensationnels et goûteux qu’il puisse exister. Les boissons coulaient à flots. Particulièrement un voluptueux UAlcool millésimé estampillé pour l’Ordre Noir.
Des musiciens troubadours de Crevit, des acrobates venus de Rigoneshker, des danseuses exotiques de Huichi, divertissaient ce petit monde.
En toute discrétion, des esclaves s’affairaient à servir les convives. Têtes basses et échines courbées. Mais ces esclaves ne venaient pas d’un marché de l’Empire ou de Robigo. Ils étaient simplement marqué d’un sombre corbeau…
– Giblood ressers moi du faisan rôti de More. Et plus vite que ça !
– Jimoo, rempli ma pinte. Dépêche toi !
– Zaro ! J’ai plus de raisin veneganien ! Grouille !
– Falco, j’ai vomi sur la moquette. Ça devrait déjà être nettoyé !
– Bougez vous les feignasses, que mes invités soient servi promptement ! Rhaaaa. Le personnel de maison, ce n’est plus ce que c’était, n’est ce pas mon cher Consul ?
– Certes Votre Excellence. Mais tout de même. Quelle ingénieuse idée de punition de désigner volontaire à l’esclavage ces pilotes subversifs.
– Tout à fait. Joindre l’utile à l’agréable, et sans débourser un seul crédit. Et cela tant qu’il n’auront pas remboursé l’équivalent de ce qu’ils ont bu, plus le coût de rachat des vaisseaux qu’ils ont détruit. Je suis tranquille pour un moment !
– Vous êtes machiavélique Sire !
– Giblood ! Tu n’oublieras pas que tu as encore la litière du chat à faire !
– Oui mon Maitre….. Grrrrrrrr …….