Journal de guerre, jour 7
Les gouttes de pluie frappaient les conteneurs entreposés de chaque côté de la ruelle et le martèlement de l’eau couvrait nos paroles, le choix de ce lieu était délibéré.
-“Vous êtes sûr d’avoir été prudent ?”
Je n’avais pas besoin de répondre, pour deux raisons : Personne n’aurait eu l’idée me suivre dans cette impasse où ruisselait cette pluie glaciale. De plus, j’avais fait le voyage en Eagle aux couleurs des forces de la sécurité locale, au grand regret du pilote d’origine, actuellement en partance pour une prison secrète du Consilium. La seconde raison était encore plus évidente : l’espion avait lui même assuré ma filature dans les méandres de la base planétaire dès qu’il avait reçu mon signal d’atterrissage.
Ses yeux luisaient très discrètement sous sa lourde capuche noire. Un inconnu aurait pris ces yeux pour des implants placés à la suite d’une cécité ou d’un accident. Rien ne pouvait laisser paraître que ces yeux n’étaient pas seulement des pièces de rechanges. C’étaient des machines indépendantes et ultra perfectionnées, capables des plus incroyables choses : vision thermique, analyse des battements de cœur, vision nocturne totale, zoom permettant de scruter un détail à plusieurs centaines de mètres, analyse spectrale et oscillations lumineuses, infra-rouges ou ultra-violets et sans doute des centaines d’autres fonctions dont j’ignorais absolument tout. Rares étaient les espions qui survivaient à l’implémentation de ces organes dont, chaque exemplaire, coûtait le prix d’un anaconda.
-“J’ai trouvé deux documents secrets que je voulais vous montrer, l’un….” Il se tut, des pas résonnaient non loin. Je les avais à peine entendu, mais ils n’avaient pas échappés à l’Espion. Il reprit :
-“L’un concerne une désinformation annonçant que votre Coalition a déclaré la guerre à l’Alliance. C’est évidemment une information grossière, mais j’ai peur que les faibles d’esprits, dont vos ennemis ne manquent pas, ne prennent cette information comme parfaitement officielle.”
-“Le second document est encore plus préoccupant, il perce votre stratégie actuelle et montre qu’ils préparent quelque chose, notamment des alliances. Il est clair également qu’arrivent de nouveaux renforts dans les systèmes ennemis.
Je regardais ces deux documents, en haut de chacun était écrit le nom du service secret de nos ennemis, même si ces derniers niaient totalement son existence. Jeu de cache cache, jeu de dupe, l’important n’est pas que les choses soient justes ou pas, mais de faire croire qu’elles sont vraies et celles des autres fausses. Le plus malin des deux, même s’il a tord, remporterait la partie. Pour un pilote ce jeu d’échec est tout aussi agaçant que frustrant. Un laser à le mérite d’être clair et franc, ce que je faisais à cet instant avec cet espion était tout l’inverse.
Il était un agent de la Division de l’Oeil, le réseau d’espionnage incroyablement puissant du Consilium. Les membres de cette Division avaient toujours été recrutés par le Fondateur des Black Birds, et uniquement lui. Personne d’autre ne connaissaient leur existence, ils ne se connaissaient pas entre eux. C’étaient des loups solitaires ayant accepté la plus dure des missions du groupe : espionner, écouter, observer, rapporter sans n’avoir jamais l’espoir de recevoir de gratifications, de médailles ni même de reconnaissance. Ils n’existaient pas, la plupart des pilotes doutant même que cette cellule fut réellement active et opérationnelle. Et pourtant elle avait été activée avant même la première mission d’entraînement des Black Birds !
J’étais fasciné par ces pièces, comme par les dizaines d’autres que l’Agent de l’Oeil m’avait fait parvenir depuis le début de cette Guerre. Cet Oeil était le chef d’orchestre de cette campagne, il avait été celui qui, depuis le début, avait permis d’adopter les bonnes stratégies, d’avoir orienté les combats dans la bonne direction, d’avoir permis de mettre en évidence, avec des preuves irréfutables, la supercherie de nos ennemis. Il avait facilité toutes nos victoires.
J’en avais vu assez, je tendais les pièces à l’Oeil, il devait les remettre en lieu sûr.
-“C’est excellent ! Vous savez que je ne pourrais pas vous récompenser ni vous féliciter officiellement comme je le ferais pour les autres pilotes ?”
Il me regarda, me scruta de ses yeux-machines et d’une voix douce me répondit :
-“Je le sais, j’ai accepté ce contrat”.
Il fit volte face et avec une étonnante rapidité et agilité rejoignit le flots des passants pour se fondre dans la masse, et repartir assurer sa mission. Je le regardai disparaître en me demandant si les pilotes qui se battaient en ce moment-même avaient la moindre idée de ce que cet espion du Consilium avait fait pour eux. Seul, sans renfort ni soutien, il était le véritable architecte de cette guerre.
La Division de l’Oeil avait accompli des miracles depuis le début de cette campagne. Bien au delà de ce qu’on aurait pu attendre…bien au delà de ce que j’aurais pu imaginer.
Ils sont peu nombreux,
Ils ne se connaissent pas,
Ils ne gagnent rien et peuvent tout perdre,
Ils sont parmi nous, mais nous les ignorons, doutant même de leur existence,
Et c’est très exactement ce qu’ils recherchent.
Ils sont la Division de l’Oeil.