9 Janvier 3304: Journal de bord d’Alexandra Gidh
Hip 17704. Système anarchique
Je m’étais installée dans le siège libre, celui du contrôle des tourelles, et nous avions décollé, laissant derrière nous la base de Blackmount Habitation. Red avait mis le cap sur la zone anarchique HIP 17704, où la probabilité de rencontres du troisième type était forte. Notre pilote n’était visiblement pas tranquille et cherchait du regard Uriel. Celui-ci, de son côté avait pris un air dégagé, voire indifférent, et gardait les yeux rivés sur le panneau de navigation. Frimeur, pensai-je, en réprimant un sourire. A moins qu’un siècle et demi passés dans un caisson à très basse température ne vous donne à tout jamais l’impression d’être immortel.
Je n’étais pour ma part ni rassurée, ni inquiète. J’étais curieuse.
Nous volions en super-cruise depuis un long moment, lorsque les capteurs du Red Axe détectèrent une “menace non-humaine de type 5”. Le pilote pris une longue inspiration avant de désenclencher le réacteur FSD.
Le spectacle était désolant. Dans une brume glauque, des carcasses de vaisseau étaient éparpillées. On eût dit qu’ils avaient été violés, éventrées, puis abandonnés. Avec la lenteur d’un cortège funèbre, notre Anaconda passait lentement parmi ces cadavres répandus, contournant les carcasses brûlées qui flottaient autour de nous.
Je restai sidérée, sans pouvoir détacher mes yeux de ces bâtiments en ruine. Que leur était-il arrivé ? Les Thargoïds ? Oui, sans doute… les coques portaient des traces évidentes de corrosion, comme celles que laissent les armes utilisées par les entités xénomorphes. Tout à coup mon regard dériva vers un objet minuscule qui ondoyait devant nous. Il avait une forme oblongue et ressemblait à un cercueil.
– Là! Qu’est-ce que c’est?
– C’est une nacelle d’évacuation. Il y a un humain là-dedans, fit Uriel. Peut-être vivant. La nacelle est occupée, d’après mes senseurs.
– On le récupère, affirmai-je, péremptoire.
C’était pour moi une évidence : il fallait sauver ce rescapé, s’il avait pu survivre à l’attaque.
– Pas question, fit Red. Nous sommes ici pour observer, pas plus. Et les Thargos n’aiment pas qu’on vienne les chatouiller, encore moins leur disputer leur proie.
– Leur proie ? Mais c’est un humain !
– Les aliens les récupèrent. On ne sait pas trop ce qu’ils en font. C’est trop dangereux d’y aller, Mme la Porte-Parole. Je ne pourrais garantir votre sécurité si nous intervenons. Et vous savez que j’ai le mauvais œil, je vous l’ai dit. Ce serait prendre un risque insensé. Et en plus, ajouta-t-il à bout d’arguments, je n’ai pas l’équipement nécessaire au sauvetage.
– Bah ! On procédera à l’ancienne, fit Uriel qui s’empara du double des commandes. Les drones de récupération, ça n’existait pas à mon époque. Red, ouvre l’écoutille de soute.
Je pris aussitôt mon parti.
– Obéissez, pilote. Tant que je serai à mon poste, les humains ne seront jamais la proie des Thargoïds.
A contre-coeur, Redfox s’exécuta. Depuis la cabine, on entendit s’ouvrir la porte du sas. Uriel manœuvra le monstre d’acier comme si c’eût été un fétu de paille entre ses mains. Il plaça aisément la nacelle juste en face de l’accès, et récupéra la capsule. Nous n’eûmes pas le temps d’exprimer notre joie ou notre soulagement : pendant que nous étions occupés à assurer le sauvetage du malheureux, un objet fabuleux, de la taille d’un vaisseau, ondulait dans notre direction.
Une étoile d’anis. Oui, c’est cela. C’était comme si une étoile d’anis glissait vers nous lentement. Elle s’arrêta à peu de distance du Red Axe. Sur Crevit, quand j’étais petite et qu’il arrivait que je sois souffrante, mes parents me préparaient des tisanes brûlantes, en versant dans ma tasse d’eau chaude des fleurs de badiane séchées. Chaque fois qu’il m’arrivait d’en boire, je songeais à ces moments heureux où je m’abandonnais aux soins patients qu’on me prodiguait, en attendant que je fusse remise sur pied.
Ainsi, c’en était fait. Toujours, désormais, c’est à cet écho perdu de mon passé que j’associerai les redoutables Thargoïds. Je compris soudain ce que j’étais venu chercher dans les Pléiades : un souvenir d’enfance.
Car c’en était un. Ni chou-fleur, ni insecte, ni l’une de ces abominations monstrueuses, comme les appelle Albert Blondin dans le Vox Veritas. Non, pour moi, et pour toujours, les Thargoïds ressembleraient aux fleurs d’anis de mes jeunes années.
Soudain, un cri déchira la cabine.
– Madame ! hurla Red, Ils passent au rouge !