D’où nous venons
Le python filait à vive allure jusqu’à une destination que seul le pilote connaissait. Lui-même membre du consilium il préférait faire le taxi plutôt que risquer de révéler l’emplacement des réunions du consilium. J’ignorais moi-même tout de ce lieu, c’était la première fois que je me rendais sur place, et sans doute la dernière.
L’intérieur du Python était des plus modestes, j’étais assis sur une banquette inconfortable et sanglé comme une marchandise. J’avais imaginé que le consilium se réservait des privilèges de luxe et de débauche puisqu’ils géraient la très grande fortune permettant aux Black Birds d’exister et de préserver leur secret. Je m’étais trompé, ça devenait une habitude.
Le détachement et le dénuement dont faisait preuve les membres du consilium les rendaient sans doute plus puissants et plus dangereux. Comment subvertir une personne que les choses matérielles et la fortune n’intéresse pas ?
Je n’avais jamais fréquenté les membres de cette organisation supérieure, en dehors de contacts par courriers électroniques ou holographiques. Les choses étaient différentes cette fois. Ma première rencontre désastreuse avec les zèbres verts avait déclenché un séisme au sein des Black Birds et du reste de l’organisation.
Encore un saut….5 depuis le début.
Je répétais mentalement mon rapport qu’il faudrait défendre devant le conseil. Je m’attendais à une certaines adversité, le message reçu quelques heures avant, ne laissant que peu de doutes sur la suite des événements.
« CMDR, un Python vient vous chercher dans l’heure. Préparez votre débrifing et vos arguments de défense. Ne parlez à personne et restez dans vos quartiers jusqu’à l’arrivée de votre navette.
Signé, Le Prima Consul. »
Le Python vibrait furieusement à proximité d’une géante gazeuse, s’extirpant non sans mal de sa gravité. Mon regard se porta sur la nébuleuse en forme de croissant au-delà de la gigantesque planète bleue…La Boucle de Barnard…un jour, peut-être pourrais-je me plonger dans ces volutes rosées et disparaître au milieu de ces millions d’étoiles.
Je fermais les yeux et les souvenirs de mon premier voyage en python, assez identique à celui-ci, rejaillirent.
L’enfer avant l’enfer
Nous étions plus d’une centaine, tassée dans la carlingue du Federal Dropship malodorant et rouillé qui nous guidait vers une destination inconnue. Nous avions tous peur, mais encore plus peur de le montrer. Seul un officier déambulait entre les rangs, remettant à chacun d’entre-nous une gourde remplie d’eau et couteau neuf. Sur ce dernier était gravée une inscription « La Mort est douce ».
Nous ne savions rien de l’endroit où nous allions, ni ce que nous allions faire. Un cadet avait posé la question, le poing de l’officier lui avait répondu dans la seconde, sans autre forme de procès.
La carlingue du Federal Dropship bougeait dans tous les sens, je fermais les yeux pour laisser passer le temps et revoyais ces deux hommes se tenant quelques jours plus tôt à a porte de l’appartement. L’un était un officier, celui même qui se trouvait avec nous à bord du vaisseau en route pour le consilium. L’autre était un petit homme sec et coincé qui ponctuait toutes ses phrases avec des « humm » agaçants.
« – comprenez bien que la mine…humm…répondait à toutes les normes…humm en vigueur. La responsabilité de la compagnie est donc….humm…limitée. Mais…humm…nous avons à cœur de protéger les…humm…familles et les accompagner dans de telles…humm…circonstances. En conséquences, et de manière exceptionnelle….humm…la compagnie a décidé de vous accompagner après la perte regrettable de vos..humm…parents. La Compagnie a donc décidé, très généreusement, de vous offrir une formation…humm..d’Elite qui vous permettra de devenir pilote…humm. N’est-ce pas ? ».
Drôle de question qui n’en était bien entendu pas une. Un oui murmuré avait scellé mon sort. Je fus donc conduit au quartier général des pilotes cadets, puis embarqué dans un python dans les heures qui suivirent.
Je compris bien plus tard que la Compagnie, responsable de la Mine qui s’était effondrée sur des centaines de personnes, dont mes parents, m’avait éloigné de peur que je sois un problème. Je compris aussi qu’elle n’avait pas dû payer grand-chose pour mon avenir, puisque j’avais certainement été vendu.
La mort est douce
L’officier avait ouvert la porte d’accès à la soute et nous avait demandé de descendre, puis il avait refermé l’accès au vaisseau. Nous étions donc resté là, sous une chaleur accablante, sur une île vide et inhospitalière sans que qui que ce soit ne nous ait dit quoi faire. La dernière chose avait lancé l’officier avant de repartir était :
« Pilotes, votre formation commence maintenant ».
Puis plus rien.
Sauf.
La chaleur, la soif et la souffrance.
Nous étions un peu plus de cents, amassés près de la zone de largage à attendre, croyant que nous allions venir nous chercher.
Le lendemain, nous ne nous faisions plus aucune illusion, personne ne viendrait. Nous commencions à avoir faim et les rations d’eau étaient presque épuisées. Nous sommes alors parti en quête d’une base ou d’un village. En vain. L’île était déserte.
Au bout de 2 jours plusieurs d’entre nous, n’ayant pas rationné leur eau, moururent sous le soleil accablant.
Je me souviens avoir marché au hasard et parcouru des dizaines de kilomètres. L’ile était immense, Une immense montagne abrupte surplombait les plages de caillasses brûlantes. Le bas de l’ile était désert, le haut ressemblait à un mur végétal impénétrable.
Le soir du Troisième jour, notre groupe s’était séparé.
Poussés par la faim et la soif, nous avions fini par gravir l’immense colline surplombant cette île démonique pour atteindre une jungle inhospitalière. Pendant l’ascension, certains glissèrent et tombèrent des centaines de mettre plus bas en hurlant.
En montant, nous pouvions distinguer, en contre bas, la plage et au-delà d’autres iles, dont l’une semblait héberger une sorte de grosse bâtisse.
Nous montions, et puis enfin….De l’eau…De l’eau. Je crois m’être évanoui après avoir bu des litres d’eau tiède.
Nous avions finalement atteint la jungle et ses ressources….La jungle…et ses habitants.
Cette nuit-là le groupe subit une attaque de loups ou de coyotes qui égorgèrent 3 de nos camarades. Nous nous étions défendu et tué un de nos adversaire qui, dépecé, nous permis de manger. La viande froide avait un goût immonde, mais nous aurions mangé n’importe quoi…ce que nous avions bien entendu fait par la suite.
Cet enfer dura sans doute des semaines, peut-être même des mois. Notre groupe devint minuscule. Nous étions méconnaissables, perpétuellement affamés, presque tous blessés nous ne parlions plus. On souffrait juste en silence.
Je m’étais blessé à la main en tranchant un morceau de viande sèche trouvée à terre. La plaie était infectée, j’avais de la fièvre mais je ne lâchais pas….je ne le lâche jamais…je ne lâche…..jamais.
Un matin, j’entendis le bruit d’un réacteur de vaisseau. La première trace d’humanité depuis qu’on nous avait abandonné là. Je couru, malgré la faim, malgré la soif, je puisais dans ce qu’il me restait de réserves pour suivre ce bruit.
Le Federal Dropship était là…au milieu de cette prairie brûlante et je voyais un officier qui sifflotait joyeusement en urinant sur la carlingue.FedeJe me suis approché, il ne s’est pas retourné, mon odeur m’ayant précédée.
-« Monte pilote, on rentre ».
-« Les autres….. »
-« Moi, je vois personne à part toi et les 4 gars que j’ai ramassé un peu plus tôt. Monte ou pas j’men branle, si tu préfères crever ici, c’est ton problème mon gars. »
Nous avons décollé, nous étions 5…seulement 5…. Je regardais l’officier me toiser. Il ouvrit la bouche et me parla tellement doucement que je cru rêver.
-« Tu es prêt pour devenir pilote, cadet. Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer ».
-« pou….pourquoi ? »
Il rit.
-« Je sais maintenant que la mort ne veut pas de toi. Je sais maintenant que tu ne lâcheras pas. Nul besoin d’instructeur, nul besoin de théories à la con, nul besoin d’entraînement. Tu as survécu, tu es ce qui se fait de plus solide. Tu es devenu une arme sans âme ni morale, tu es devenu un tueur …tu es devenu un oiseau noir qui ne lâchera jamais, même dans la mort, tu te battras encore ».
Je regardais ma main dont j’avais sectionné 1 doigt pour ne pas mourir de gangrène…et me mis à rire….un rire qui me fit peur.
Le Consilium
J’ouvris les yeux, le Python venait de se poser et je chassais mes souvenirs. Nous étions arrivés.
Je quittais le vaisseau rapidement. Dehors l’air était suffocant et étrangement familier. Devant moi se tenait une énorme bâtisse sombre, posée sur une colline. Elle faisait face à une plage… Je pris le temps de regarder la mer verte et senti mon ventre se nouer. De l’autre côté du bras de mer, malgré la distance, je reconnu une montagne qui surplombait une île…une île de souffrance et de mort…cette île qui avait fait de moi un Black Bird…cette île qui ne quittait jamais mes nuits…
Le consilium nous avait eu sous les yeux pendant tous ces longs mois d’agonie, nous regardant crever les uns après les autres pour ne garder que les plus acharnés d’entre-nous. Un plan d’une formidable efficacité : pas d’instructeur qui maîtrise et encadre, pas de garde fous, juste un choix binaire : la vie ou la mort et on ne garde que ceux qui restent.
Nous vous observons !