Samson, salle du haut Conseil, 21 juin 3305
– Mais enfin, de quoi parlez-vous, l’Oeil ? des terroristes ? des traîtres ? dans nos rangs ?”
Le Dictateur était pourtant arrivé de bonne humeur ce matin, avant l’arrivée de l’Oeil sur l’holoconférence de l’état major : la guerre en Azgharie n’était plus qu’un souvenir, et un peu d’action avait été bénéfique à sa forme physique. Si les quelques kilos superflus emmagasinés pendant l’hiver de Samson avaient fondu pendant le conflit comme les neiges de More sous les rayons de Munfayl, le Chat en revanche avait prospéré pendant ce temps. Comme si quelque enchanteresse lui avait transféré par magie toute la charge pondérale de son maître. Gros et ventru, énorme, flasque, il restait assis sans bouger, et semblait répandre sur le bureau ses chairs liquéfiées.
– Vous savez, mon cher, la trahison, c’est surtout une question de point de vue”, répliqua l’Oeil, dont l’image bleutée en trois dimensions caressait en souriant la fourrure rousse de l’animal entripaillé. Agents doubles retournés, taupes, mouchards et félons en tout genre étaient son quotidien depuis si longtemps que fourberies et traîtrises avaient fini par l’amuser.
– Sigma, de nouveau ?” interrogea le Dictateur, soucieux.
– Sigma… ou peut-être une organisation plus mystérieuse encore. En lien avec les Fédéraux. Peut-être même… avec le Club”, ajouta l’Oeil dans un souffle.
– Peut-être, l’Oeil ? Vous voulez que je prenne des décisions sur des peut-être ? Vous vieillissez, mon vieux. Je vous ai connu plus habile. Il nous faut des certitudes, des informations précises. Et surtout, de la discrétion. Je n’ai pas envie de causer la panique sur la foi de quelques vagues soupçons de dissidence.
– Croyez-moi, il ne s’agit pas seulement de quelques frondeurs qui s’opposent à votre politique… Mais vous avez raison, nous avons besoin d’informations complémentaires. Si vous me trouvez une tête brûlée capable de prendre en charge une opération secrète, je vous promets que nous en saurons bientôt davantage.
– Une forte tête ? Oui, je crois que j’ai ce qu’il vous faut. Un Black Bird récalcitrant. ll est au trou actuellement, mais au fond c’est un brave gars. Et qui n’a pas froid aux couilles.
– Et bien, cher ami, sortez-le donc du gnouf, et chargez-le de prendre d’assaut la base rebelle.”
Une voix se fit entendre. C’était celle du consul, resté jusqu’ici dans l’ombre, mais qui s’avança dans la lumière.
– Rapture LXVIII ? Mais enfin, Dictateur, vous n’y pensez pas ! L’envoyer pourchasser des traîtres, lui dont l’indice de fiabilité approche du zéro pointé… Nous l’avons promu bien trop tôt. C’est bien plutôt lui qui risque de semer la pagaille, si on n’y met pas bonne ordre. Et puis, il n’a jamais dirigé ce genre d’opérations.
– Justement, Consul. Je tiens à savoir ce qu’il a dans les tripes. Et puis, après tout, tout le monde a droit à sa seconde chance, n’est-ce pas?