9 Septembre 3304, Centre de détention militaire de Gaultier de Varenne, système Munfayl.
-Cmdr Uriel Pineout, vous pouvez y aller!
Il lui avait fallu montrer patte blanche pour avoir l’autorisation de parler à Steinman. Compte tenu de l’incident avec la Porte-Parole, le dispositif de sécurité avait été sérieusement révisé à la hausse: fouille au corps, empreinte de l’Iris et formulaire à remplir.
Uriel voulut récupérer son holopad, mais le petit binoclard de l’administration pénitentiaire de l’autre côté du guichet pris soin de lui rappeler la consigne d’une voix nasillarde.
-Aucun objet ! Votre conversation sera enregistrée et vous aurez droit à une copie en sortant. Vous avez 30 minutes.
Le déclic de la porte blindée qui donnait accès au quartier de haute sécurité de la prison marqua le début du compte à rebours.
Uriel s’avança dans l’allée centrale. Des gardes munis de bâtons électriques étaient postés devant chacune des cellules occupées. Les prisonniers ici n’avaient droit à aucune intimité. La cloison qui séparait les cellules du couloir étaient de simple panneaux de verre. Les pires criminels de Munfayl comme les opposants politiques un peu trop turbulents aux yeux du Consilium avaient séjourné ici, la plupart du temps de manière assez brève, en général le temps d’organiser leur procès puis leur exécution.
Il arriva devant la cellule de Steinman, gardée par deux hommes de la Phalange Noire. Celui-ci était allongé sur sa paillasse, en train de lire. Il se redressa en voyant Uriel.
-Quel honneur ! Uriel Pineout !
Steinman avait pris soin d’imiter la voix d’une femme qui se voulait être celle d’Alexandra.
-Oh mon héros ! Mon beau guerrier aux cheveux longs !
Un des gardes de la phalange s’avança vers la paroie vitrée.
-Tu veux que je rentre t’apprendre le respect ducon ?
-Oh oui c’est vrai, pardon mon bon seigneur…
Uriel s’avança et s’asseya sur la chaise que venait de lui mettre à disposition le garde devant la cloison; Steinman fit de même. Les deux se faisaient face, séparés par cette imposante paroi vitrée. Uriel pris la parole.
-DR Steinman, vous savez qui je suis. Le Consilium m’a chargé de venir vous questionner sur vos travaux avant votre arrestation. Je dois savoir si ceux ci ont un intérêt quelconque pour le Consilium. Je préfère vous prévenir tout de suite que cette conversation entre gentlemen pourrait être remplacée par les méthodes classiques de la division de l’Oeil. Je vous invite donc à coopérer.
-Évidemment ! Je sais qui vous êtes et je voulais vous dire à quel point je suis satisfait de vous rencontrer. Vous, le seul et unique survivant du premier Squadron. Je devrais plutôt dire de l’unique Squadron, tant vos successeurs me semblent de piètres combattants comparés à vous.
-Vos travaux s’il vous plaît ? Depuis votre fuite de Munfayl.
-Et bien voyez vous, des gens de qualité du côté d’une corporation dont je tairai le nom, m’ont offert de les aider dans la mise au point d’un de leurs armes AX. Je pense pouvoir sans me vanter dire que c’est un immense succès commercial.
-Lesquelles ?
-la manipulation de la technologie Guardian s’est avérée plus compliquée que prévue, mais nous avons finalement réussi son intégration dans la composition des canons gauss. J’aurai d’ailleurs volontiers tué pour avoir un pilote tel que vous pour les tests in situ.
-La flatterie ne vous amènera nulle part Docteur, Quoi d’autre?
-Fort de ce petit succès on m’a ensuite demandé conseil pour mettre au point une espèce de canon à onde pulsée. Les essais ont été un fiasco complet, nous étions très loin de pouvoir mettre la puissance nécessaire pour avoir l’effet escompté.
-Et depuis ?
-Depuis, je suis sur quelque chose de plus subtil, de plus compliqué et de plus beau aussi. Cette arme n’est pas encore au point mais je vous garantie que quand ce sera le cas, la peur changera de camps.
-Quel en est le principe?
-Quelle question voyons ! Quel est l’arme la plus puissante chez les humains? Leur plus grande force et en même temps leur plus grande faiblesse : la source de tous leurs malheurs ?
Uriel restait interdit. Steinman savourait manifestement de ménager ses effets.
– L’amour, Uriel ! L’amour ! …
Un long silence s’imposa de lui même. Uriel se demandait s’il devait continuer cet entretien. Peut être valait-il mieux demander à l’oeil de s’occuper de lui finalement. Mais Steinman brisa le silence à nouveau.
-Vous aimez les chats, Uriel ?
-Vous n’êtes qu’un vieux cinglé ! Quel est le rapport ?
– Toxoplasma gondii. C’est le nom d’un parasite fréquent chez les mammifères, il affecte votre comportement et vous amène à un besoin irrépressible de vous rapprochez des chats. Ces parasitent ne peuvent pas se reproduire autrement que dans le corps d’un félin.
-Vous vous foutez de moi ? Ca n’est pas sérieux!
-Oh que si ça l’est! La petite variante sur laquelle je travaille cible spécifiquement les thargons afin de les pousser à avoir un sentiments positifs, voir amoureux envers les humains. De cette manière un essaim de thargons infectés n’aura d’autre choix que de tuer son hôte.
Uriel était songeur. Lui qui était encore il y a quelques jours passé à deux doigts de finir dans le vide spatial, l’idée de voir ces bestioles s’auto détruire ne lui était clairement pas indifférente.
-Est ce que cette arme est au point?
-Hélas non, et compte tenu du sombre avenir que me réserve votre chère Alexandra, j’ai bien peur qu’elle ne le soit jamais.
Uriel était face à un dilemme. Ce vieux fou pouvait-il être la clef d’un changement radical des forces en présences? Peut être mentait il ? Il n’avait aucun moyen de le savoir. Mais pouvions nous courir le risque de passer à côté de cette possibilité, pensa-t-il…
Steinman semblait lire dans le regard d’Uriel comme dans un livre ouvert
-Elle ne l’acceptera jamais. Votre chère Porte-Parole, tant éprise de justice et de bons sentiments, est très loin d’avoir vos épaules. Je ne parle même pas de la traîtresse, qui a carrément condamné la mise au point du virus mycoïd.
La vérité, c’est que les femmes sont inaptes à gouverner. C’est congénital : leurs pulsions de vie les rendent incapables de faire les sacrifices nécessaires aux grandes choses, celles qui forgent l’histoire de l’humanité depuis sa création.
-Si j’arrive à convaincre le Consilium de vous laisser faire vos travaux, seriez vous prêt à les mener pour nous ?
-Assez parlé du Consilium, parlons plutôt de vous. Etes vous tellement prêt à travailler pour des gens qui sont incapables de mener cette guerre ? Êtes vous prêt à prendre le risque de laisser des milliards d’âmes mourir, notre espèce se faire anéantir, sans réagir ? Vous! Le Black Birds originel, l’archétype du soldat absolu ! Auriez vous traversé ce siècle de ténèbres pour rien, monsieur Pineout ?
Uriel ne pouvait pas répondre, il en était bien incapable…
-Avez vous un loisir Uriel ? Une passion pour quelque chose?
Uriel se leva et regarda une dernière fois Steinman.
-Je crois que notre conversation est terminée, Docteur .
-Moi c’est la poésie ! Vous devriez essayer, c’est excellent pour les âmes blessées comme les nôtres. Elles sont une grande source d’inspiration. On peut y puiser les réponses à tant de questions…
Alors qu’Uriel s’en allait, Steinman se mit à réciter quelques vers:
« On a dompté l’ennui qui mord,
On est à l’abri du remord,
Et libre, nonchalant et fort,
On s’en va sans rien qui nous navre.
Soudain, celui dont on doit taire le nom
Passe et dit : Tu seras cadavre. »