Le rituel du matin était toujours le même, je m’asseyais devant mon bureau et parcourais les comptes-rendus des récentes missions tout en savourant mon café. Ces temps-ci, ces comptes-rendus ressemblaient plus à des faits divers qu’à des débriefs. Encore de la casse, encore des blessés… Pas de perte humaine cette fois-ci, on peut considérer ça comme une bonne journée en somme.
L’activité du Squadron était épileptique ces derniers mois. Les pilotes n’avaient pas le temps de s’ennuyer. Entre le projet Destiny, la menace Thargoïde de plus en plus palpable, l’expansion du Consilium, les diverses escarmouches dont nos systèmes étaient victimes, ça faisait beaucoup. Trop même. Le Squadron ne suffisait plus. Les Auxilary étaient mis à rude épreuve.
Pourtant les recrues ne manquaient pas. L’Académie tournait à plein régime. L’aura du Consilium, portée par ses Black Birds, nous assurait un vivier constant de nouveaux pilotes. Les récits de nos exploits, le succès sans frontière des BBFL et BBRA, le rouleau compresseur médiatique du projet Destiny, la réputation de l’Académie… Tous les mois affluaient de nombreux jeunes prétendants, les yeux remplis d’étoiles, prêts à tout donner pour intégrer les rangs du prestigieux Black Birds Squadron ! De la merde oui !
Être un bon pilote et voler au sein d’une escadrille de Black Birds sont deux choses bien différentes. Mais le Consilium s’en foutait cordialement. Tels des actionnaires, ils ne voyaient que le résultat immédiat. Qu’importent les moyens, les pertes, le boulot devait être fait. Ils nous envoyaient donc plus de jeunes diplômés de l’Académie qu’on ne pouvait en former. Certaines missions étaient portées à bout de bras par des escadrilles formées uniquement de bleus. Du suicide ! On fabriquait de la chair à canon.
Le Fondateur n’aimait pas perdre ses pilotes. Mais il savait que toute discussion avec les pontes du Consilium était vaine. Il lui fallait trouver une solution qui puisse transformer cette chair à canon en arme.
Comment les préparer ? Comment leur donner les bases nécessaires à l’intégration au sein d’une escadrille de Black Birds ? Comment les protéger ? Leur donner une chance de sauver leur peau ? Il fallait qu’il traite le mal à la racine. C’était à l’Académie qu’il avait le plus de chances de semer la graine qui apporterait le remède.
L’Académie formait de bons pilotes, mais un bon pilote n’est pas un Black Bird. Il y a entre les deux un gouffre qu’il lui fallait combler. Les futurs Black Birds, on les identifie très vite. Dans les rangs des étudiants, on voit tout de suite qui est au-dessus de la masse, en tête du peloton. C’est là qu’il lui fallait agir. Les identifier, les sortir du lot, les former, les endurcir. Une formation plus dure, plus rapide, plus douloureuse, mais ils sauraient l’endurer, ils en sont capables. Là n’est pas le problème. La question c’est « comment ? ».
Les instructeurs de l’Académie n’ont ni le temps, ni l’expérience pour ça. Ces jeunes prodiges, ce n’était pas d’instructeurs dont ils avaient besoin, mais de Black Birds. Si on voulait leur donner les armes, les moyens de survivre, il fallait shunter le programme de l’Académie, et accélérer le processus de formation. Les cours du soir en quelque sorte.
Le Fondateur avait donc négocié l’intégration de certains d’entre nous au sein même de l’Académie. De pauvres bougres qui allaient devoir subir le confort et le luxe de l’Académie. Le choix était cornélien, continuer sur la voie tracée et être hanté par le sacrifice de ces futurs talents en puissance, ou réduire ses effectifs pour donner une chance de survivre aux futures générations. Le Fondateur est quelqu’un qui a toujours été tourné vers l’avenir. Le choix s’imposait de lui-même.